Quand lits et lie furent abolis
Jadis vivait à Sakassou une grande reine qui avait décidé que plus personne ne devait être au lit avant la nuit. Parfaite savante, elle avait expliqué à ses sujets que boire du vin, jusqu’à la lie, conduisait de plein jour au lit.
Ses sujets s’étaient résolus à lui obéir, bien que, par eux, quelques coupes bien pleines fussent désirées et qu’ils eussent convoité des couches bien moelleuses.
Dans la tête de la reine quelles pensées s’étaient télescopées ? Quelles idées l’avaient agitée ? Nul de ses sujets jamais ne le sut. L’on avait juste noté que ses yeux semblaient remués par la berlue et que les carpes qu’elle avait mangées la veille, lui avaient transi le ventre de gazouillis. Mais aussi vrai que la beauté l’avait toujours habitée, la gentillesse elle aussi ne la quittait jamais.
Les étoffes bleu marine et rayées qu’elle portait sous ses capes rouge bordeaux lui donnaient un air débonnaire. Mais par ces couleurs, elle était aussi repérée de loin par des piroguiers déjantés.
Se voyant privés de couchette pour la sieste, ces braves pêcheurs s’étaient servis de leurs pirogues renversées comme lit, après avoir bu force bouteilles de vin à la régalade !
La reine en patrouille les avait surpris :
_ Eh vous là-bas, je vous vois au lit de plein jour. Auriez-vous bu votre vin jusqu’à la lie ?
_ Non, chère reine, nous sommes étalés, mais pas alités. Mieux, les bouteilles que nous avons bues étaient renversées ! Or, il n’y a, ô reine, de lie que pour qui ne boit à la régalade ! firent-ils en chœur.
Ainsi, la reine et sa cour s’en sont allées, frappées par l’espièglerie des pêcheurs !
Dernier passage. Phrases torpilles pour les As, les experts de la langue française.
Or, montés sur poneys et ponettes, janissaires et thuriféraires de la souveraine suivaient le cortège royal, discutaient à l’insu des piroguiers :
_Quel bien, ont-ils, ces lascars, à pêcher et à se goinfrer de l’éperlan et de la lotte ? demanda le premier.
Et le deuxième de répondre :
_Eh bien, le plaisir de boustifailler jusqu’à ce que les arêtes les arrêtent. En tout cas, moi, j’ai choisi les gastéropodes : les bigorneaux en l’occurrence !